Article de Sciences Humaines - Janvier 2004
Publié le 28 Juillet 2008
Voyages, migration, mobilité
Un amendement visant à doter les psychothérapeutes d'un statut, présenté par le député UMP Bernard Accoyer, a été voté sans débat par l'Assemblée nationale, le 14 octobre dernier. Aujourd'hui, le débat fait rage, non seulement dans le milieu psy, mais aussi dans la presse.
A priori, on peut s'en étonner. L'objectif proclamé de ce texte est d'empêcher les gens en quête d'aide psychologique de devenir victimes d'un charlatan ou d'un gourou, recrutant pour sa secte et s'autoproclamant « psychothérapeute » - ce que la loi, aujourd'hui, lui permet. Tout le monde devrait être d'accord, semble-t-il !
Tout le monde est d'accord... sur l'objectif, mais pas sur les moyens. Ce que propose l'amendement, c'est de réserver le titre de psychothérapeute aux psychiatres, médecins et psychologues. Les adversaires de cette limitation estiment qu'elle sera inefficace quant à la protection du public, mais qu'elle aura en plus des effets pervers.
Le débat sur le statut des « psy » dure depuis des années. Les psychiatres sont les seuls à avoir une identité claire : ce sont des médecins spécialisés dans l'étude et le traitement des maladies mentales. Les psychologues ont eu beaucoup plus de mal. Ce n'est que depuis 1985 que le titre professionnel de psychologue est réservé aux titulaires d'un diplôme de haut niveau en psychologie, à bac + 5.
Reste le problème des psychothérapeutes. Qui sont-ils ? On ne peut les définir par leur statut, puisqu'ils n'en ont pas. Ni par leur diplôme ou leur formation, puisqu'aucune n'est exigée. N'importe qui peut se déclarer psychothérapeute. Leur seul point commun est d'utiliser des moyens psychologiques pour venir en aide à la personne qui s'adresse à eux. Les charlatans et autres gourous de secte, qui ne peuvent plus inscrire « psychologue » sur leur plaque, peuvent donc impunément se rabattre sur « psychothérapeute »...
L'amendement Accoyer...
C'est à ce vide juridique que veut remédier l'amendement Accoyer. Ce n'est pas un coup d'essai : en 2000, Bernard Accoyer, député et médecin, avait organisé un colloque sur « Les psychothérapies et la loi » ; en 2001, il avait déposé une proposition de loi, qui avait été écartée. La nouvelle mouture va être présentée au Sénat.
Voyons donc le texte : « Les psychothérapies constituent des outils thérapeutiques utilisés dans le traitement des troubles mentaux. Les différentes catégories de psychothérapies sont fixées par décret du ministre chargé de la Santé. Leur mise en oeuvre ne peut relever que de médecins psychiatres ou de médecins et psychologues ayant les qualifications professionnelles requises fixées par ce même décret. » Suit une disposition destinée à permettre aux praticiens en activité, mais non médecins ni psychologues, de poursuivre leur activité moyennant évaluation par un jury.
... et les critiques qu'il suscite
Ce texte pose problème sur différents points. Pourquoi limiter la psychothérapie au « traitement des troubles mentaux » ? Certes, cette utilisation existe; les patients souffrant de dépression grave, de schizophrénie, d'anxiété généralisée suivent souvent une psychothérapie, parallèlement à leur traitement par des médicaments. Et « il est prouvé que l'association psychothérapie-pharmacothérapie est plus efficace que l'une d'entre elles appliquée séparément » (1). Mais qu'en sera-t-il de tous les autres motifs d'entrée en psychothérapie ? Selon un sondage BVA, réalisé entre décembre 2000 et mars 2001 pour la revue Psychologies et la Fédération française de psychothérapie auprès de 8 061 adultes, 5 % suivent ou ont suivi une psychothérapie. Les motifs de thérapie de ces gens ordinaires, interrogés par téléphone, sont un « sentiment de mal-être ou trouble gênant », comprenant la dépression, l'angoisse, le manque de confiance en soi (26 %) ; des « problèmes relationnels » (23 %) ; un « traumatisme » (22 %) ; « pour mieux se connaître » (13 %) ; des « problèmes psychosomatiques » (10 %). Auprès de qui ces « gens ordinaires » recevront-ils une aide pour leurs souffrances, ou leur quête d'eux-même ? On peut craindre que ce public - qu'on cherche à protéger - se tourne alors vers un professionnel rebaptisé « conseiller », « coach », etc. - sans avoir davantage de garantie quant à sa formation. On n'aurait ainsi que déplacé le problème.
L'amendement propose par ailleurs de « réserver la psychothérapie aux médecins psychiatres, médecins, psychologues ». Ce qui revient à poser la question suivante : comment forme-t-on un psychothérapeute ? Question à laquelle on ne peut répondre sans en poser une autre : la psychothérapie est-elle une thérapie comme les autres ? Non, affirment certains : la relation soignant-patient ne serait pas la même entre un médecin et son patient qu'entre un psychothérapeute et son patient. Dans le premier cas, c'est le médecin qui sait : le patient décrit les symptômes dont il souffre, il attend un diagnostic et un traitement, son rôle se limitant ensuite à suivre ce traitement. Dans le second cas, c'est le patient qui sait : ses souffrances ont pour origine son histoire, sa personnalité, et le rôle du thérapeute est de le rendre conscient de ce savoir, de l'aider à modifier ce qui le fait souffrir, à devenir plus autonome.
Dans ce cadre, être titulaire d'un diplôme de médecin psychiatre, de médecin ou de psychologue est-il nécessaire, et suffisant ? Des connaissances médicales minimums semblent en effet nécessaires pour reconnaître une tendance suicidaire ou un délire, et l'urgence d'un traitement médicamenteux. Mais faut-il, pour les acquérir, avoir suivi un cursus complet d'études médicales ? Ou suffit-il d'inclure un enseignement de psychopathologie dans les formations à la psychothérapie ?
Ce qui rendrait donc le médecin « utile et non nuisible » à son malade, ce serait un maximum de connaissances médicales ; Mais cela suffit-il pour être un psychothérapeute ? Selon certaines études sur l'efficacité des psychothérapies (2), la motivation du patient et la qualité du thérapeute priment sur la méthode employée. Ainsi, dans le sondage BVA cité plus haut, 84 % des personnes ayant suivi une psychothérapie s'en disent satisfaites - mais une sur cinq n'est pas capable d'identifier la méthode suivie ; alors que 86 % ont apprécié, chez leur thérapeute, le fait qu'il sache écouter, et 42 %, qu'il soit discret. Ce qui rendrait donc le thérapeute « utile et non nuisible » à son patient serait la qualité de leur relation.
Or, cette qualité ne s'acquiert pas par un savoir théorique mais, comme les psychanalystes l'ont établi les premiers, par un travail sur soi-même, qui seul permet : de contrôler le transfert des sentiments, positifs ou négatifs, du patient sur le thérapeute, et le contre-transfert des sentiments du thérapeute sur le patient ; et de bien situer la relation dans un cadre professionnel. C'est ce travail sur soi, souvent prolongé par une supervision exercée par ses pairs, qui évite au thérapeute de nuire à son patient en se montrant hostile ou séducteur, ou en abusant de son influence pour le rendre dépendant.
Ce travail, les psychiatres l'ont-ils fait ? Certains oui, mais en dehors de l'université - au cours d'une analyse personnelle, par exemple ; nombreux sont ceux qui n'ont « aucune idée de ce qu'est la relation médecin-malade ou de ce qu'est la psychothérapie, autrement que par ce qu'ils en ont vu à l'hôpital », estime Edouard Zarifian. On est donc loin de l'idée du président du Syndicat privé des psychiatres, selon laquelle « le psychiatre est par définition un psychothérapeute » (3). On peut d'ailleurs noter qu'en Autriche, lorsque la psychothérapie a été dotée d'un statut, les psychiatres ont essayé de dire qu'ils étaient des psychothérapeutes par nature ; mais cette prétention a été rejetée, et ils ont été astreints à une formation spécifique.
Dernier point litigieux : l'amendement Accoyer envisage un décret pour fixer les « qualifications professionnelles requises » des psychiatres, médecins et psychologues, et un jury pour agréer les psychothérapeutes non-médecins en exercice. Mais qui inspirera ce décret, qui fera partie du jury ?
Si ce sont, pour l'essentiel, des psychiatres, comme cela a été le cas pour l'amendement et pour les colloques et rapports dont il s'est inspiré, on peut craindre que l'importance du travail sur soi ne soit sous-estimée. Les psychothérapeutes non-médecins n'ont jamais été consultés. Or, ils ont un autre modèle à proposer, proche de celui qui a force de loi en Autriche depuis 1990 : un statut de psychothérapeute, attribué à l'issue d'un cursus de formation spécifique, en 3 200 heures réparties sur sept années. Il inclut une formation de base (à la psychopathologie, à l'éthique...), un travail sur soi ; puis une formation à une méthode donnée, avec travail sur soi et pratique sous supervision. Peut-être vaudrait-il mieux étudier ce modèle, quitte à l'amender, que médicaliser à l'excès le champ de la souffrance psychique ?
NOTES
1 W.A. Szafran et L. From, « Réalités et illusions de la psychothérapie », Revue de psychologie de la motivation, juin 2003.
2 M.E.P. Seligman, « The effectiveness of psychotherapy, The Consumer Reports study », American Psychologist, décembre 1995 ; P. Gérin, L'Évaluation des psychothérapies, Puf, 1984.
3 Cité par P. Coret in « Pour une reconnaissance du titre de psychothérapeute », Quotidien du médecin, 27 septembre 2001.